De Neige et de Sang

L'armurier avait vraiment fait du très bon travail, la tempête faisait rage mais son armure la préservait du froid et des cristaux de glace charriés par le vent. Elle fit jouer ses doigts gainés de cuir et de fourrure et apprécia de constater que le froid ne gelait plus ses articulations, la laissant en pleine possessions de ses moyens.
Le col n'était plus qu'a quelques centaines de pas mais avec ce vent, cela pouvait très bien lui prendre des heures... Son dépit soudain fut vite chassé lorsqu'elle accorda un peu de son attention au doux tintement cristallin que produisaient les flocons et autres débris glacés qui venaient se briser sur les deux larges canines orangées lui protégeant les tempes et les joues.
Ragaillardie et amusée , elle se redressa pour faire face au vent et accéléra le pas, luttant contre la neige qui tentait de la freiner. Elle franchit le col, le vent s'engouffrant dans l’étroit passage de pierre menaçait de l'emporter, elle ploya, planta plus profondément les pieds et avança, sa détermination de hunter faisant la différence.

Encore un pas et elle faillit s’étaler le nez dans la neige, elle avait franchit la passe venteuse et le féroce zéphyr n'était plus qu'un souffle léger maintenant qu'elle avait atteint la vallée protégée. Elle inspira à fond et laissa l'air froid venir lui mordre les poumons alors qu'elle offrait son visage aux rayons du doux soleil de midi.
Après ces quelques secondes de laisser aller, elle observa son environnement, le terrain de chasse établit par la guilde, tout en portant machinalement sa main d'épée par-dessus son épaule pour saisir la poignée de sa great sword. L'épée à large lame coulissait parfaitement depuis son baudrier dorsal, le froid n'ayant pas racornit le cuir. Voilà deux semaines qu'elle était venue, accompagnée de son compagnon Felyne, traquer et chasser le prédateur des glaces. Un Barioth colossal qui décimait les troupeaux de Popos des éleveurs locaux. La chasse avait été longue et en prime le Barioth s'était avéré être accompagné d'un de ses congénères, certes plus petit mais néanmoins mortel.

Le combat avait été violent et rude, lorsque le plus jeune était tombé sous ses coups , le grand mâle était rentré dans un état de fureur tel que Pelote avait faillit y laissé la vie. Mais comme tous les Felynes il se remettrait vite de ses blessures.

- En ce moment il doit se prélasser dans les bains de Yukumo. Pensa-t-elle.

D'ailleurs c'est grâce à ces deux carcasses que l'armurier gobelin de Yukumo avait pu lui créer cette armure parfaitement adapter à ce climat montagnard et glacé !
Une plainte avait été à nouveau déposé à la guilde, malgré la chasse précédente , les troupeaux de placides herbivores se faisaient encore décimer. Outre la perte sèche pour les éleveurs locaux, c'est tout le commerce de la région qui allait en pâtir : auberges et tavernes mais aussi les tanneurs, les équarrisseurs, les sculpteurs, les bijoutiers et les petits camelots. La guilde avait accepté et l'avait dépêchée encore une fois.
La jeune hunter repéra le troupeau de Popos au nord-ouest de la vallée, regroupé en cercle défensif, les jeunes au centre alors que les adultes massifs formaient un cercle de défenses et de pattes gigantesques. Par expérience, elle porta son regard dans l'exacte direction opposée et y repéra ce qu'elle s'attendait à y trouver. Une carcasse à moitié dévorée de ce qui semblait être un vieux mâle Popo. Les entrailles déversées sur la neige fumaient encore, la cage thoracique portait les marques de profondes morsures qui avait brisé les côtes et arraché les muscles abdominaux de l'herbivore. Elle eut tôt fait de repérer les traces laissées par le Barioth après son festin. Repu et alourdit le wyvern des glaces n'avait sûrement pas pu prendre son envol et s'était donc éloigné en marchant.
Siobhan dégrafa la lanière de cuir qui empêchait son arme de coulisser et agrippa la poignée de sa Buster Sword sans toutefois la dégainer. Elle pista le prédateur sur plusieurs kilomètres avant de se retrouver face à une falaise de granite qui bloquait l'accès sud-est de la vallée glacière. Le pied du mur minéral était un chaos d’éboulis et de rocs accumulés qui formait diverses plate-formes et corniches étagées, permettant d'accéder à une grotte à mi-hauteur de la falaise.

Brusquement le vent changea et Siobhan se retrouva sous ce dernier, son odeur serait désormais détectable, elle maudit la météo capricieuse et serra un plus sa prise sur son arme.
À peine avait-elle entamée l'ascension des premiers éboulis qu'un terrible rugissement s'échappa de la caverne pour rebondir sur la paroi rocheuse. La jeune hunter se laissa choir et se réceptionna en glissant sur le sol verglacé. D'un geste fluide , elle dégaina sa Buster Sword et se mit en garde, prête à en découdre. Une ombre se propulsa au-dehors de la grotte et vint se poser à quelques pas de la hunter, provocant une rafale d'air et de neige qui vint gifler la jeune femme.
Dissipé, le nuage de flocons et de glaces révéla une bête énorme, bien plus grosse que le mâle abattue dernièrement, sa gueule était encore tachée de sang, fleur rouge plantée au milieu d'écailles blanches et de longues dents cuivrées. Le Barioth rugit, se ramassa sur lui même et se détendit comme un arc, fusant vers la hunter.
Siobhan réagit et roula sur sa gauche, évitant la charge de plein fouet mais le wyvern stoppa et balança son énorme queue hérissée de pointes. Encore à genoux, la jeune femme eut à peine le temps de se protéger derrière sa large lame.
La force de l'impact lui secoua les os et elle se mordit la langue, les pointes osseuses du prédateur zébrèrent l'acier de sa lame mais ricochèrent sur les plaques et écailles qui constituaient son armure. Siobhan se releva, cracha le sang qui commençait à inonder sa bouche et se mit en position. Elle plongea sous le coup d'aile vicieux que venait de donner le Barioth avant de se relever et de donner un grand coup de taille , la lame déchira le cuir de l'aile comme du papier. D'un mouvement du poignet, elle fit pivoter sa lame et la ramena dans un large coup horizontal qui alla mordre dans l'os long qui soutenait l'aile. Déchirant muscles et tendons. Le cri de douleur poussé par le wyvern ne fit que confirmer ce que la jeune hunter avait ressentit au travers de son arme : elle l'avait touché et plutôt deux fois qu'une !

- Voilà qui devrait me permettre de faire jeu égal , mon grand ! Ponctuant son défi d'un jet de salive carmin. elle pointa son arme droit devant elle et attendit.

Le wyvern répondit au défi lancé en rugissant, plusieurs congères cédèrent sous l'impact sonore, arrosant la scène d'une pluie de cristaux translucides.
Sous l'effet de la colère les muscles du Barioth semblèrent doubler de volume, il inspira bruyamment, faisant affluer un maximum d'oxygène dans ses muscles et braqua son regard bleu nuit sur la jeune hunter. Ses iris glacés virèrent au rouge  sang, Siobhan reconnu immédiatement les signes de la fureur qui avait envahit le prédateur des glaces. Elle plongea aussitôt, la tête la première dans la neige au moment même où le wyvern fonça. Par pur réflexe elle roula sur la gauche, évitant un coup de queue qui creusa un profond sillon à l'endroit même où elle se tenait un battement de cœur plus tôt. Malheureusement les piques osseuses de la queue laissèrent de profondes marques dans son épaule.
Blessée, la jeune femme se releva, l'épaule en sang, juste à temps pour recevoir de plein fouet la charge du Barioth. Le poitrail de la bête vint frapper la large lame qui gifla le visage de la jeune hunter, propulsée une dizaine de mètres de là. Son univers se réduisit à un tourbillon de douleurs ou ciel et terre couleur neige se confondaient. La garde de son arme avait fait éclater son arcade sourcilière, un torrent rubicond ruisselait le long de son doux visage halé et gênait sa vision, teintant d'un voile rouge son environnement, pourtant d'un blanc éclatant. D'un bond, le Barioth s'accrocha à la paroi de granite comme un parasite rampant sur son hôte.

       Siobhan laissa le flot de sang inonder son visage, ruisseler sous son gambisson de cuir et trouver son chemin au travers de son armure pour se nourrir de sa chaleur cuivré ; chaque goutte rubis qui touchait sa peau lui rappelait qu'elle était vivante et qu'elle se devait de le rester, ne serait-ce que pour LUI...
En un battement de cœur, elle se releva, mis sa main gauche dans sa sacoche dorsale et referma ses doigts sur la sphère luminescente, tandis que sa main droite levait son arme en guise d'écran protecteur. Le Barioth rugit et bondit de toutes ses forces pour la charge finale. La jeune hunter se jeta en avant et d'un même geste lança la flashbombe en direction du wyvern. La sphère luminescente fit son œuvre :une lumière éblouissante brûla la cornée du prédateur des glaces et le cueillit en plein saut, déstabilisé le Barioth chuta lourdement, creusant le sol de son corps comme le soc d'une charrue de chair et d'os. Siobhan empoigna alors sa Buster Sword à deux mains, transférant son poids vers l'avant, elle convertit l'énergie accumulée par sa course en une rage furieuse qui se déversa dans ses bras puis dans l'acier de sa lame.
Cette dernière alla mordre dans la gorge offerte et traça un chemin de sang à travers la jugulaire de la bête. Suivant l'artère jugulaire, la lame bue goulûment le flot carmin et ne s'arrêta que lorsqu'elle rencontra le muscle palpitant de force et de vie, qu'elle fendit comme un fruit trop mûr. Un Craquement sinistre mit fin à l'assaut, l'acier se retrouvant pris dans les côtes du Barioth, faisant pleuvoir esquilles d'os et débris de carapaces externes. Le wyvern eut un long et dernier mugissement en direction du soleil ou de sa tanière, Siobhan n'aurait su  dire à qui s'adressait ce dernier appel. La jeune hunter retira sa large épée de la carcasse et en nettoya la lame à l'aide de neige avant de la remettre dans son baudrier dorsal. Elle en profita pour appliquer une  généreuse poignée de glace et de neige sur son arcade ouverte, ce qui eut pour effet de tarir le saignement.

Satisfaite elle posa une main sur le Barioth vaincu et pris quelques secondes pour louer son esprit combatif et le remercier pour cette chasse palpitante et honorable. Son rituel accompli elle dégaina son couteau à dépecer de son fourreau dorsal et examina la dépouille. Beaucoup trop volumineuse et sans l'aide de son ami à fourrure, elle ne pourrait presque rien emporter. Elle grava sur une plaque dorsale du prédateur son emblème unique, qu'elle s'était attribuée lorsqu'elle s'était enrôlée comme hunter dans la guilde. Cette marque, sa marque, trois griffes barrées d'une rune forte, lui attribuerait la dépouille sans contestation aucune.
Elle fouilla dans sa sacoche et en sortie une grosse baie peinture dont elle découpa la partie supérieure de la cosse, révélant la texture grumeleuse et colorée qu'elle contenait. Puis elle sortit un petit récipient fait d'os et d'écorce qui contenait divers insectes. Elle sélectionna un puis deux flashinsectes et un foudreinsecte pour faire bonne mesure, qu'elle réduisit en pulpe grasse et collante entre ses paumes. Mélangés à la baie peinture, les agents chimiques des flashinsectes couplés aux cellules bio-électriques du foudrinsectes rentreraient en réaction et produiraient un fumigène coloré, visible à des kilomètres à la ronde. Le gaz coloré serait comme un phare dans la nuit pour les Felynes à bord du ballon de la guilde chargé de surveiller ce terrain de chasse.

      L’aérostat se dirigerait alors vers la dépouille et les deux Felynes dépeceurs embarqués se chargeraient de récupérer tout ce qu'il y avait d'utile sur la carcasse du Barioth. Le tout l'attendrait chez l'artisan de Yukumo d'ici quelques jours.
Elle jeta donc les insectes écrasés dans la baie peinture, constata que la réaction démarrait et n'oublia pas de laisser deux Sushipoissons marinés et assaisonnés à la felvyne pour les deux équarrisseurs...Il n'était jamais vain de se mettre dans les bonnes grâces de ces Felynes.
Siobhan, vérifia sa sacoche, constata que son arcade ne saignait plus et se mit en marche vers le campement qui l'attendait à quelques heures d'ici. Elle retira un morceau de steak de Popo séché pour compenser la perte d'énergie et combattre la chute d'adrénaline qui vous coupait les jambes, une fois que l'action était retombée lorsqu'elle reçu un violent choc dans le dos et se retrouva le visage dans la neige, étalée de tout son long. Un instant elle pensa que le Barioth n'était pas mort et que dans un dernier soubresaut il l'avait lacérée d'une de ses griffes. Puis elle constata qu'elle ne ressentait aucune, nouvelle, douleur. Un frisson de panique la traversa, était-ce la fin ? Se rabrouant pour sa stupidité, elle se dit qu'elle ne ressentait aucune douleur parce qu’elle n'avait pas été blessée.

       Elle se releva et regarda autour d'elle. Ne voyant rien, elle fit un tour complet sur elle même et tout à coup son œil accrocha deux fines lignes oranges près de la dépouille du Barioth, posées là, dans la neige.
Au bout de quelques secondes, elle se rendit compte que les lames orangées étaient rattachées à une petite forme blanche qui se déplaçait sur le manteau neigeux, presque invisible. Un jeune, non même pas, un bébé Barioth lui avait bondit sur le dos, défendant la dépouille de ce qui semblait être sa mère. Siobhan eut une bouffée de pitié qu'elle réprima, presque, immédiatement et dégaina son couteau .
La jeune femme s'avança prête à épargner des jours de faim et de froid à la pauvre bête lorsque celle-ci se retourna et posa son regard sur elle. Toutes envies, toutes émotions négatives la quitta, elle reçut de plein fouet la révélation, les conséquences de sa chasse, de son geste. Ébranlée, elle abaissa son couteau et tendit son autre main vers le jeune Barioth. Ce dernier feula comme un Felyne asthmatique, leva haut sa queue dans une imitation parfaite de la posture d'attaque d'un adulte. Toujours plus près, Siobhan approcha encore ses doigts, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait ni ce qu'elle ferait après... Néanmoins elle persista et le bébé Barioth plongea et referma sa gueule sur la main offerte. La jeune hunter laissa la douleur venir puis la traverser et se força à ne pas bouger un muscle. Le jeune prédateur des glaces continuait de serrer tout en grondant. Au bout de quelques secondes il relâcha sa prise et vint caler sa tête léonide  sous la main meurtrie, cherchant un réconfort que sa mère ne pourrait plus lui offrir.

- Qu'est-ce que je fais ? Hein ? Je me le demande ? La guilde ne va pas apprécier, sans parler de Pelote !

Le petit Barioth se lova au creux de ses bras , trouva la chaleur de son corps réconfortante et la fourrure de son armure familière... Rassuré il s'endormit.

- Allons nous reposer et réfléchir un peu, ça me changera pour aujourd'hui..Hmm... Flocon, oui Flocon cela t'iras très bien.

Le vent faisait claquer la tenture renforcée de cuir de sa hutte, mais le froid ne rentrait pas dans son abri. Le poêle à bois dispensait une agréable chaleur et les fourrures de son lit étaient moelleuses et épaisses mais ce qui la réconfortait le plus, ce qui lui procurait la plus agréable des chaleurs, c’était cette petite boule de fourrure couleur neige lové au creux de ses bras. Flocon dormait d’un sommeil lourd tout en produisant un ronronnement sourd et continu.
La jeune hunter avait sciemment retardé son départ pour le village, ne sachant pas vraiment ce qu’elle craignait le plus : la réaction de la guilde ou celle de Pelote, son compagnon Felyne, sans parler des habitants de Yukumo. Dans l’absolu elle était responsable de ces gens, envoyée par la guilde comme Hunter de Yukumo, apte à défendre les intérêts et la sécurité des villageois face aux wyverns de la région.
Elle caressa tendrement la tête du jeune Barioth et décida qu’elle quitterait le campement demain.

– Oui demain, j’affronterai tout ça demain…

La descente vers Yukumo fut agréable et elle en savoura chaque instant avant ce qu’elle savait être une dure épreuve. Flocon marchait juste derrière elle, profitant qu’elle tasse la neige pour avancer plus aisément dans ses traces de pas. Lorsque le soleil fut au zénith, il laissèrent derrière eux les pentes glacées et neigeuses pour se retrouver à la lisière des forêts de conifères qui marquait la zone de moyenne montagne et le territoire inféodé au village de Yukumo.
Siobhan et Flocon s’arrêtèrent à l’abri d’un grand séquoia tombé des années plus tôt qui offrait un bel abri pour camper. Le jeune Barioth dévora leur dernier steak de Popo avant de partir en chasse… les fougères tremblèrent avant qu’un petit cri aigu ne rebondisse sur les troncs des sapins environnants. Flocon revint vers la jeune hunter , un lemming des neiges gras et dodu entre ses petites mâchoires .
Il déposa le rongeur malchanceux aux pieds de Siobhan qui le félicita en lui grattant la gorge , provoquant un ronronnement de plaisir. D’un puissant coup de queue, le jeune prédateur des glaces lança alors sa proie en l’air, rejetant sa tête en arrière et engloutit le rongeur dans un craquement de petits os brisés. D’un bond il s’agrippa au dos de la hunter, calant ses griffes entre les plaques dorsales de l’armure et enroulant sa queue autour du biceps de sa nouvelle mère.
– Je vois que vous êtes tous pareils, vous les Hommes ! Digère pendant que je marche. Souriant affectueusement elle reprit la descente vers le village.
Le soleil était sur le déclin lorsqu’elle franchit le Torii en bois massif qui marquait la porte symbolique de Yukumo. S’adressant autant à elle même qu’a Flocon , elle gravit l’escalier de pierre qui débouchait sur la place des artisans et du marché local.

– Va falloir la jouer serrer mon grand .

D’un regard jeté par dessus son épaule , elle vérifia que le petit Barioth dormait toujours et franchit les derniers degrés de pierre avant de s’élancer d’un pas rapide à travers la place pour retrouver l’intimité de son logement. Elle entendit sur sa droite le rythme franc et précis du forgeron gobelin qui abattait en cadence son marteau sur l’enclume. Elle irait le voir demain, pour voir ce que pourrait lui proposer l’artisan , non sans un petit pincement au cœur en pensant à Flocon…
C’est avec un soupir de soulagement qu’elle referma la porte de ses appartements, contente de n’avoir croisé personne en cette fin d’après midi. Elle rejeta sa sacoche dans un coin et tendit son bras ou pendait Flocon endormit comme une chauve-souris agrippée à sa branche. Ce dernier se roula en boule sur les fourrures du lit lorsqu’elle l’y déposa pour ensuite masser son muscle légèrement meurtri par les écailles et les piques naissantes de la queue de Flocon.

– Fssssssssssss !! Qu’est ce que c’est que ça ? Miaou .

Siobhan se retourna , prête à affronter son compagnon, en fait elle ne savait pas vraiment comment elle allait s’en sortir vu qu’elle ne comprenait pas encore totalement son geste. Elle pensait que toutes émotions altruistes étaient mortes lorsqu’IL était mort… Cela faisait des années mais son ressentiment pour les wyverns était encore tenace.

– Je vois que t’es vite remis . J’en suis heureuse. Tu arbores de très belles cicatrices, j’en connais un qui va faire des ravages !

Sa pitoyable tentative pour détourner l’attention de son compagnon Felyne échoua comme elle s’y attendait. La ténacité était le moindre des défauts de Pelote…

– Mais qu’est ce qui t’as pris ? Tu es devenue folle ! La guilde va te radier pour ça ! Non Miaou ! NOUS radier miaouuuuuuuu ! Les wyverns ne sont pas des animaux de compagnie ! On ne peut pas briser l’écosystème local et enlever comme ça un maillon de la chaîne alimentaire !

– Calme-toi , tu veux ?!

Siobhan avança vers son petit ami à fourrure. Il s’agitait de droite à gauche en balançant ses pattes antérieures en l’air comme pour chasser quelques insectes nuisibles. Elle le saisit comme l’on saisit un enfant que l’on veut calmer et rassurer, le souleva et planta son regard droit dans ses pupilles fendues.

- La chaîne était déjà brisée. JE l’ai brisée en tuant ces deux Barioth il y a deux semaines et en éliminant sa mère, il y a deux jours.

Elle le reposa à terre et ils restèrent ainsi le temps de quelques battements de coeur. Pelote lâcha un petit grondement et cracha plus qu’il ne dit :

– Radié, je ne pourrai plus rentrer parmi les miens… J’aurai de la chance si un Rathalos veut bien se caler une dent creuse avec ma carcasse déshonorée…

Il la quitta sans un mot de plus, grattant de ses griffes le tissu cicatriciel qui zébrait sa poitrine fragile.
Finalement ça s’était bien passé , il avait abandonné bien vite mais sa récente convalescence ne devait pas y être étrangère. Elle s’assit au bord du lit et caressa machinalement Flocon. Elle fut surprise de la facilité avec laquelle on pouvait s’habituer à tout… Ses doigts se perdaient dans la blanche fourrure, passant de la douceur des poils long et creux à la rugosité des plaques osseuses qui caparaçonnaient les zones sensibles de ce petit corps en devenir. Siobhan s’allongea au côté de son jeune rescapé et laissa le sommeil venir.
Quelques coups discrètement tapés sur le chambranle de sa porte les tirèrent de leur sommeil. La jeune femme se redressa et fit savoir que l’on pouvait entrer.
Un haute silhouette armurée apparue dans l’encadrement de la porte. Elle mit quelques secondes à le reconnaître puis s’inclina respectueusement :

– Ikichii-san … Que puis-je pour vous ?

C’était un vieil hunter, arriver à son âge, vivant, démontrait son talent. Désormais il dirigeait le dojo de la région qui servait à former les recrues de la guilde. Lui rendant son salut, il s’adressa à elle.

– Bonsoir hunter . Je viens discuter et vous rendre service… Nous rendre service devrais-je dire.

Le coeur de Siobhan s’emballa et rata un battement, Flocon s’agita et releva la tête vers leur nouveau visiteur, écartant très légèrement les ailes. Comme liés , tous deux se tendirent prêt à bondir.

– Je vais me servir de ce chat de gouttière comme appât et je va..

– Paix jeune fille ! S’il est venu me voir c’est parce qu’il tient à vous justement. Si il était allé trouver l’Ancien dans le Hall vous seriez entourée de gardes hunters et votre peluche des glaces serait dans une cage, en route pour un Colisée. Allons. Asseyons-nous et écoutez ce que j’ai à vous dire , voulez vous ?

Siobhan inspira profondément et constata la justesse de ses propos, l’invitant à prendre place.

Après deux journées de voyage, le neige avait laissé la place à un terrain rocailleux où la chaleur du soleil s'emmagasinait pour transformer la vallée en une véritable fournaise. Elle fit claquer les rennes de cuir sur le plumage volumineux du Gagua qui accéléra le pas et fit cahoter un peu plus leur carriole. Pelote, comme tous les Felynes, adorait la chaleur et se prélassait à l'arrière, cuisant véritablement au soleil.
Siobhan lui jeta un regard avant de reporter son attention sur le grand fourreau de cuir qui contenait sa nouvelle arme. Le lendemain de son retour au village, elle avait été trouver le maître forgeron pour s'en quérir de son butin. Ce dernier trépignait d'impatience devant le monceau de matériaux ramené par les Felynes dépeceurs.

- C'est vraiment parfait Hunter. Des pièces de premier choix.

Il agita son bras armuré pour protéger son corps de la chaleur de la forge avant de poursuivre.

- J'ai là les plans d'un toute nouvelle arme. J'ai réussi à le faire venir depuis le village Moga, là-bas des marchands parcourent les îles de l'autre côté du continent et nous ramènent de véritables trésors !

Dubitative, Siobhan fit la moue.

- C'est que je suis assez habituée à mes larges épées et à leur maniement.

Le maître artisan gobelin balaya ses doutes d'un geste mi-amusé mi-agacé.

- Pas d’inquiétude ma jeune amie, une Hunter aussi douée que vous maîtrisera cette nouvelle arme en un rien de temps.

D'un haussement de sourcil, elle l'invita à poursuivre.

- Vous verrez ce n'est pas une mais deux armes que vous aurez en main. Oui oui !! Cette arme est fantastique, un ingénieux mécanisme interne fait pivoter une seconde lame, transformant totalement l'arme. Vous passez d'une hache de chasse bâtarde à une épée à deux mains en un rien de temps !

Le vieux forgeron était tout excité et elle voyait dans ses yeux briller l'étincelle de la découverte et de l'expérimentation. Siobhan capitula devant sa détermination et avança une part de la somme demandée en plus des matériaux. Son arme avait été prête deux jours plus tard, elle avait pu la tester dans une des arènes d'Ikichii-san... Ikichii-san... Ses pensées dérivèrent encore une fois, emportées par le rythme cahotant de la carriole. Et la ramenèrent vers Flocon. Son coeur se serra et fermant les yeux elle se revit dans ses appartements, Ikichii-san lui proposant son aide.
Elle se rappelait du ton doux mais ferme avec lequel le vieil Hunter s'était adressé à elle renforçant ainsi, elle le comprenait maintenant, le poids de ses arguments.

- Vous ne pouvez le garder, la guilde vous révoquera pour ce caprice.

Siobhan s'était tendue prête à réfuter ces paroles. Le vieil Hunter avait été plus prompt à la calmer.

- Paix, cet ainsi que la guilde le percevra. Comme un caprice. J'y vois ce que vous ne voulez pas vous avouer, un geste altruiste. Motivé par la compassion et par la générosité qui vous anime .

La jeune femme avait baissé la tête et rougit comme une gamine. Elle ouvrit néanmoins la bouche pour répliquer.

- Je ne sa...

- Un jour vos vous comprendrez vous même mais je ne suis pas là pour ça... Cette boule de poil va grandir, elle va avoir besoin d'espace et de nourriture... Que ferez vous le jour où elle s'en prendra aux porcs ou aux Popos des habitants ? Ou pire , à un villageois, à un enfant ? Ou à vous ?

Siobhan s'affaissa un peu plus sur son siège, les épaules basses elle répondit :

- Je n'y avais pas pensé. J'ai réagi. J'avais... J'ai décimé toute une famille, c'est un orphelin... J'en ai fait un orphelin, tout comme moi ! Il ne méritait pas ça !


- Tout comme vous , ma fille ! J'ai une proposition à vous faire. Je prendrai ce Barioth et je...

- Flocon , il s'appelle Flocon . Maître.

- Je prendrai Flocon avec moi , au dojo. J'en prendrai soin, il pourra grandir et s'épanouir dans la zone montagneuse et enneigée qui m'est allouée pour la formation des jeunes hunters fraîchement promus. Et qui plus est cela fera un excellent test pour les plus prometteurs.

Le vieil Hunter lit une inquiétude soudaine dans le regard de sa jeune interlocutrice.

- Pas d'inquiétude , il fera une pièce de choix pour la capture, jamais pour une mise à mort, je vous en donne ma parole.

- Pourquoi pas. Je dois y réfléchir Maître.

- C'est maintenant jeune fille. Ce soir ou jamais. Demain matin le village sera grouillant de monde et vous ne pourrez pas confiner ce Bari... Flocon indéfiniment, dans vos appartements.

Siobhan poussa un long soupir alors que sa main se posait machinalement sur la douce fourrure de son petit rescapé.

- Bien , je... C'est d'accord mais promettez moi d'en prendre soin. Il mérite de grandir , de chasser !

J'en fait le serment. Ichikii vous donne sa parole de Hunter.

Comment allez vous expliquer sa présence ?

- Bah , je suis un vieil Hunter malgré tout ma parole a encore du poids. Je dirai qu'en manque de sensations, j'ai voulu renouer avec le bon vieux temps et que lors d'une de mes excursions j'ai trouvé ce petit mort de faim au fond d'une congère. On me tapera sur les doigts mais rien de bien méchant.

Siobhan planta son regard dans celui bleu glacier de Flocon et en un échange muet lui transmit toute l'affection dont elle était encore capable, teintée d'une culpabilité qui ne la quitterait sans doute jamais. Le petit wyvern sembla accepter le don fait et poussa un petit rugissement.
Ikichii se leva et tendit sa main d'où émergea comme par magie un bout de viande séchée. Flocon renifla le tout et s'empara de la nourriture en un éclair et l'avala sans la mâcher. Le vieil instructeur sourit et produisit un second morceau de viande, Flocon agit mais Ikichii retira sa main et la tint en hauteur. Le jeune Barioth bondit et s’agrippa sur les plaques ventrales de l'armure du hunter qui le laissa se saisir de la viande.

- Je vais maintenant me retirer. Quoique vous pensiez cette nuit, je vous le dis : vous avez fait le bon choix. Demain allez dans hall et prenez un contrat, un vrai.


Siobhan ne dit mot et s'inclina du buste pour saluer le vieil instructeur. Il venait de la sortir d'un sacré pétrin et elle lui était redevable, il le savait tout les deux mais personne n'en toucha mot. Elle le regarda se faufiler dans la nuit, une tâche blanche percée de deux saphirs luisant collée à sa silhouette sombre. La jeune hunter s’effondra sur son lit et laissa les larmes venir, comme ça, sans rien penser jusqu'à ce que l'aube la tire d'un sommeil qu'elle n'avait pas vu venir. Elle suivit le conseil d'Ichikii et se rendit dans le hall, où l'attendait Pelote... Tous deux se dirigèrent vers le panneau des requêtes spéciales et c'est non sans ironie qu'il prirent un contrat lointain qui fit écho aux amères paroles de Pelote...

Une ombre bienvenue la ramena au moment présent, ils étaient encore à une ou deux heures de route du camp et il n'y aurait pas dû avoir d'ombre au milieu de cette fournaise. Le Gagua poussa un cri d'effroi aussitôt suivit du bruit nauséabond de ces boyaux se vidant. Siobhan et Pelote se dressèrent pour comprendre que l'ombre salvatrice n'était que le héraut d'une mort venue du ciel.

Sans bruit aucun, un immense Rathalos plongeait sur eux les ailes repliées le long de son corps massifs, au dernier instant il déploya ses ailes de cuir et d'écailles. L'onde de choc sonore balaya les deux hunters, les faisant passer cul par-dessus tête. Le wyvern rubis darda ses immenses serres et les planta dans le Gagua stupéfié de se voir finir ainsi. Siobhan entendit le craquement sinistre de la colonne vertébrale du pauvre oiseau lorsque celle-ci céda sous la formidable pression du prédateur volant. Le Rathalos battit des ailes et s'arracha à l'attraction terrestre. Soulevant sa proie, la carriole et les deux hunters encore dedans comme si de rien n'était !

Il s'élevait déjà quand le joug de bois et les rennes de cuir cédèrent faisant chuter le chariot au sol. Ce dernier ce brisa en une pluie de bois et d'échardes qui larda les environs d'épines sylvestres géantes. Siobhan roula sur elle-même pour amortir le choc alors que Pelote, elle en était sûre, retombait sur ses pattes... Le corps couvert ecchymoses, elle regarda le Rathalos voler plein sud, sa proie pendant mollement dans ses serres. Rassemblant ses esprits, elle se mit en quête de son arme. Le Felyne miaula une réponse rassurante à ça question muette et se mit en devoir de rassembler son paquetage et leurs vivres. La jeune hunter mit la main sur son arme. Elle retira la bâche huilée qui l'enveloppait et en extirpa sa Lame Ambrée intacte qu'elle fixa dans son baudrier dorsal. Sa Morpho-Hache en place, elle regarda Pelote qui acquiesça d'un mouvement de tête.

- La chasse commence.

Toute la zone sentait la charogne. Siobhan se mit à respirer par la bouche pour échapper à la puanteur des lieux tandis que Pelote se mit à éternuer de façon frénétique comme pour chasser un hôte indésirable de ses sinus . Le creux rocheux où ils se trouvaient était jonché de cadavres de petits reptiles et rongeurs charognards, certains écrasés d'autres carbonisés... Ils étaient sur la bonne piste. Ces petits voleurs avaient dû mécontenter le propriétaire des carcasses.
La jeune hunter contourna une cathédrale d'os composée de cages thoraciques d'Aptonoths. Les restes de leurs cuirs claquant au vent comme de macabres fanions célébrant mort et carnage. Elle continua encore sur quelques pas et s'accroupit derrière un roc volumineux, quelque chose avait changé. Au-dessus de l'odeur de viande faisandée planait un autre relent, plus fort, plus musqué... Une odeur qui lui noua l'estomac, d'une façon bien différente des carcasses pourrissantes. Un soupçon de danger flottait dans l'air, ça et un bruit sourd et profond qui faisait vibrer les petits rocs environnants et dont la vibration se répercutait aussi dans ses os. Pelote se figea aussi, le Felyne renifla et se tapit au sol, tout excité. Il dégaina le grand shuriken à quatre lames accroché à son dos.

Siobhan se rappelait encore, avec joie, les soirées à la taverne où le joyeux Felyne racontait comment il avait gagné son arme et son armure. Un Nargacuga blessé par un hunter avait fuit le combat et fou de douleur s'était abattu sur le village de Pelote. Semant mort et désolation. Un courageux groupe de guerriers Felyne s'était opposé au wyvern dément. La lutte avait durée une bonne partie de la nuit avant que la bête ne soit prise au piège sous les filets des guerriers. Immobilisée, ils avaient cru l'avoir vaincue mais dans un sursaut de rage le Narcangua avait déchiré une partie des mailles de chanvre avant de se jeter sur le père de Pelote.
Ce dernier avait bondit pour s'interposer, calant la hampe de son pieu dans le sol et cueillant le wyvern au niveau de la gorge. La tête de métal de l'arme avait pénétrée profondément dans l'artère faisant jaillir une fontaine de sang chaud et nauséabond. La gangrène s'étant répandu dans le système sanguin de la bête comme le poison violent qu'elle était. Pu et sang avait souillé l'héroïque Felyne alors qu'il maintenait fermement son arme en position. Le Nargacuga ne comptait pas partir sans combattre et avait réussi à planter ses crocs dans l'épaule de Pelote, le marquant à jamais.
Reconnaissant et fier de son fils, le père du courageux Felyne l'avait autorisé à rejoindre un village humain pour devenir hunter à son tour, accompagnant un humain de la guilde dans ses chasses. Son départ du village avait été marqué par la remise de son arme et de son armure de hunter, offerte par son père qui l'avait commandée au forgeron Felyne qui avait lui aussi survécut. Ce dernier avait su tirer le meilleur de la carcasse du Nargacuga.

Siobhan revint au moment présent, cherchant à identifier la source de se grondement profond et inquiétant. Bien qu'elle sache déjà, au fond d'elle, ce qu'il en était. Elle observa l'approche discrète de son compagnon sur son flanc droit. Il se mit en position. La jeune hunter fit de même en dégainant sa Morpho-Hache, qu'elle n'activa pas encore. D'une synchronisation parfaite, née de nombreuses chasses partagées, les deux hunters quittèrent leurs abris et se dirigèrent vers ce qu'ils avaient identifié comme la source du terrible son. Une masse rouge et noire trônait sur un éperon rocheux qui dominait de quelques mètre le creux jonché des restes de repas de la bête.
Pelote hocha de la tête, confirmant ce que Siobhan savait déjà, ils avaient retrouvé le Rathalos qui avait détruit leur attelage et dévoré leur Gagua. Ils ne distinguaient qu'un énorme tas d'écailles et de cuir se gonflant et se dégonflant au rythme de ses ronflements digestifs. D'ailleurs, seule la tête et une partie du cou étaient encore présents... Le regard vide du Gagua les fixait en une parodie d'appel à l'aide sanglant, ses plumes souillées en guise de linceul mortuaire.

Le Felyne se déplaça vers ce qui semblait être l'arrière de la crête du wyvern. Siobhan contourna l'éperon rocheux sur de nombreux pas avant d'apercevoir le ventre de leur proie. Elle voulait attendre le dernier moment avant de déployer la lame de son arme, craignant que le mécanisme de détente, fondé sur la vapeur et la réactivité de ressorts internes, ne réveille le Rathalos. Son compagnon Felyne n'était plus visible mais elle savait qu'il était en position , attendant son signal. La jeune hunter fit passer son arme devant elle et amorça la torsion de la poignée qui enclencherait le déploiement de la tête de hache. Au moment où le mécanisme se mit en branle le wyvern volant se déploya en balançant sa queue vers la hunter. Ne pouvant parer avec son arme, elle ne dut la vie qu'à la chance. Une des pointes d'os de la queue vint frapper de plein fouet la Morpho-hache, arrachant un cri de douleur à la jeune femme alors que tout son squelette encaissait le choc. Un peu étourdie , elle entendit le claquement sec des crocs du Ratholos mordant le vide là où aurait dû se trouver Pelote. Ce dernier avait bondit en arrière juste un fraction de seconde avant de se faire couper en deux.

- Méfie toi ! Celui-ci est un vicieux. Il a senti notre approche mais a su nous attendre !

- Miaouuu ! Vu !